Message du Président du Conseil Régional
Synode Régional 2019
(Message enregistré et retranscrit par la suite)
Chers Amis,
C’est toujours un plaisir de vous retrouver chaque année. Et c’est toujours un enjeu que d’essayer de penser à une parole pour vous, alors que je suis dans mon bureau ou sur la route, alors que vous êtes dans des situations diverses, alors que la société traverse selon les endroits des temps de conflit, des temps d’espérance.
Que se dire pour se retrouver ensemble et que partager pour finalement se sentir chacune et chacun reconnu, accueilli, envoyé, mais aussi et surtout unis les uns aux autres. Il y a quelques jours, alors que j’en ai vu des milliers avant elle, il y a quelques jours alors que vous en avez vu des milliers, elle m’est apparue comme étant une très belle parabole pour la vie de chacun d’entre nous, pour la vie de nos communautés locales, pour la vie de l’Eglise et peut-être pour la vie du monde. Car, finalement, celle que nous connaissons toutes et tous a traversé les âges, s’est laissée apprivoisée, peut-être parfois domptée, a souffert de la maladresse de celles et de ceux qui voulaient s’en saisir, mais finalement est restée vivante. Alors, c’est d’elle dont je voudrais vous parler, pour parler de nous et pour nous parler les uns aux autres. Mais je n’ai pas envie de vous dire qui elle est, j’ai envie que vous le deviniez. Alors, on va jouer un petit peu ensemble.
Une petite devinette pour commencer ce synode, avec trois, quatre, cinq, six indices pas plus, parce que sept ce ne serait pas correct.
-
Alors, premier indice : seule elle ne sert pas à grand-chose, mais une multitude fait peur à celui ou celle qui veut s’en saisir.
-
Une idée ?
-
Vous voulez un indice de plus ?
-
Une parmi toutes a su se rendre indispensable.
-
Je n’ai pas entendu
-
[une voix dans l’assemblée] :J’ai dit : Parmi toutes les femmes, Marie ça lui a fait plaisir.
-
Non
-
[idem] : la reine
-
Non, pas la reine
-
[idem]: naître ?
-
Non
-
Alors un troisième indice. Comment je vais vous le formuler ?
-
Pour le bien commun, elle accepte d’être abaissée ou élevée.
-
[idem] : la lumière ?
-
Non
-
[idem]: la renommée ?
-
Non
-
[idem] : l’aube ?
-
Non
-
[idem] : la balance ?
-
Non
-
Quatrième indice : avec un petit plus, sa vie est bouleversée. On pourrait même dire : avec un petit plus, la durée de sa vie est bouleversée.
-
Apparemment vous avez de moins en moins d’idées. De plus en plus d’indices, de moins en moins d’idées, ah! ça c’est réformé ! [rire général]
-
Alors …
-
[idem] : la nature ?
-
Non
-
Allez, cinquième indice, décidément !
-
[idem] : c’est du féminin ?
-
Oui, j’ai dit elle au début, c’est du féminin.
-
Cinquième indice : sans support, nul ne peut la nommer.
-
[idem] : une seconde ?
-
Non
-
[idem] : la parole ?
-
Non
-
Allez, le sixième indice, alors celui-là, vous allez tous me crier qui elle est : avec elle, jamais du gris, toujours du blanc et du noir.
-
[idem] : la vérité ?
-
Non
-
[idem] : l’espace ?
-
Non
-
Ah, ça y est [il regarde sa montre]… cinq minutes du message écoulé ! [rire général]
Allez je vous le dis, c’est la note de musique !
[exclamation générale]
Vous y avez tous pensé, bien sûr, vous n’osiez pas le dire ! La note de musique. En effet, une note de musique ne sert pas à grand-chose. Une multitude peut affoler celui qui se trouve devant la partition. Une note de musique parmi toutes s’est rendue indispensable : le « la » du diapason. Pour le bien commun, elle accepte d’être élevée ou abaissée grâce au dièse ou au bémol. Un petit plus modifie et bouleverse la durée de sa vie : pointée ou avec la petite croche. Sans support, nul ne peut la nommer : nommer une note de musique sans la portée, impossible. Et avec elle toujours du blanc et du noir, car jamais du gris. Et la note de musique [applaudissements]. Attendez, attendez la fin ! [Rires].
Et la note de musique, eh bien, elle parle de vous, elle parle de nous, elle parle de l’Eglise. Car en effet si nous sommes seuls, nous pouvons nous penser être indispensable et en même temps nous ne sommes pas grand-chose. Pas grand-chose sur le chemin de la vie, pas grand-chose dans le monde, pas grand-chose face aux défis à relever. Nous ne sommes vraiment pas grand-chose. Et il faut bien qu’il y en ait un autre qui nous nomme, c’est Dieu. Il faut bien qu’il y en ait un autre qui nous élève, parce qu’il s’est abaissé, c’est le Christ. Et il faut bien un souffle pour que notre vie avance, pour que notre vie grandisse, parfois s’accélère, parfois se ralentisse, et c’est l’Esprit. En effet, nous sommes une note de musique, à condition de ne pas nous penser trop grand, à condition de ne pas penser que nous avons en nous-même toute la musique. Car le propre de la note de musique, c’est qu’elle a besoin de ses semblables. Elle a besoin de toutes ses semblables et elle se multiplie à l’infini. Elle part à la rencontre des extrémités de la terre, mais, bien sûr, avec les autres, jamais sans. Et il faut une portée pour pouvoir donner naissance à de la musique. Il faut un support, et pour nous ce support, c’est la Parole, et pour nous ce support, c’est le Christ, et pour nous ce support, c’est Celui qui trace non pas la clé de sol, mais la clé de vie au début de la portée de nos existences, au début de la portée de l’existence de ce peuple de l’alliance qui traverse les âges, comme la musique qui traverse les âges.
La note de musique ne vit jamais seule, elle a toujours besoin d’un autre pour exister. Elle se donne, elle reste disponible au compositeur. Elle se partage avec l’instrumentiste. Elle se donne au choriste. Oui, la note de musique est disponible, car sans cette disponibilité à l’autre, elle resterait silence. Alors, chers amis, la note de musique, c’est peut-être un peu nous, un peu chacun de nous, si nous réalisons que sans Dieu, que sans les uns, que sans les autres, finalement, nous sommes réduits au silence et peut-être à l’absence d’existence. La note de musique, un peu de notre vie. Mais jamais sans les autres, et donc tout de suite des notes de musique comme une communauté de vie
Des notes de musique qui se posent les unes après les autres sur une partition, chacune à sa place, sans se bousculer, sans être en concurrence les unes avec les autres, bien ordonnées, avec quelques règles de lecture, afin que lorsqu’elle sera interprétée, la partition soit belle. Lorsque les notes de musique se rassemblent sur la portée, il y a besoin d’un petit code de lecture afin qu’ensemble elles puissent chanter et vivre. C’est peut-être le mystère nécessaire dont ont besoin nos communautés de vie, nos communautés de vie d’Eglise, mais aussi nos communautés de vie en société, de quelques règles pour que l’harmonie soit possible, pour que le chant soit beau. Quelques règles non contraignantes, car finalement ce qui est écrit sur la partition reste disponible à la liberté de l’interprète. Quelques règles pour savoir où est le cadre minimal, mais quelques règles qui ne sont pas contraignantes, qui ne sont pas des obligations qui interdisent à chacun de s’exprimer et de vivre. Oui, quelques notes de musique avec quelques règles de vie et pour nos communautés de vie ? Quelques notes de vie, quelques existences, avec quelles règles ? Celles qui sont inscrites dans une constitution, pourquoi pas ?, dans les statuts d’une association, pourquoi pas ? Mais face à la réalité, face au moment, quelle liberté pour s’adapter, pour que la chanson de la communauté, pour que la chanson de la vie ne soit pas que cri de souffrance ou de désespoir, mais soit aussi chant d’espérance et de confiance. Oui, quelques règles, mais toujours ouvertes à une certaine adaptabilité. Et c’est je crois l’enjeu, l’enjeu de nos communautés, dans notre région, mais pas uniquement, l’enjeu aussi de nos communautés de vie. Savoir respecter des règles, non pas du vivre ensemble, mais du vivre les uns avec les autres, toi avec moi, eux avec nous, l’ensemble est trop anonyme.
Alors nommons, n’arrêtons pas de nommer celles et ceux qui participent à la communauté de vie : lui, toi, moi, elle, nous, eux. Car finalement, c’est bien ce que l’on apprend au tout début, lorsque l’on fait de la musique. Lire les notes, les nommer, on ne dit jamais : l’ensemble ; on ne dit jamais : toute la portée ; on dit : do, ré, mi, fa, sol, la… Nommons donc celles et ceux qui sont des notes de musique. Osons-nous donner un nom. Oui, toutes ces notes de musique font une partition, parfois de plusieurs pages, comme de plusieurs siècles. Et la première des choses à faire lorsque l’on est face à la partition, c’est d’être très attentifs, très vigilants à chaque petit signe qui modifie la vie de la note de musique. Faire attention au dièse et au bémol qui sont autant de joies, autant de peines que nous ne pouvons pas passer sous silence, car sinon ça sonne faux. Faire attention à ces joies, à ces peines, à ces richesses, à ces pauvretés qui sont les bémols et les dièses de nos vies, de la vie de nos églises, de la vie de nos sociétés. Lorsqu’on lit la partition, il faut aussi faire attention au petit point qui modifie le temps de vie de la note. Il faut faire attention au soupir et à la pause qui invitent à la respiration. Il en de même dans nos vies, dans la vie de nos communautés ecclésiales, dans la vie de notre société. Où sont les pauses, les soupirs qui permettent la respiration ensemble pour mieux reprendre la partition de la vie, les pauses et les soupirs qui sont autant de temps offerts au discernement, à l’attente patiente de la grâce, de la bénédiction de Dieu ? Car ils sont très importants, ces temps de respiration. Qui pourrait d’ailleurs lire une partition du début à la fin sans souffler, sans respirer, sans reprendre souffle. ?
La partition elle est là, elle se transmet de génération en génération, elle s’interprète. Alors, elle est composée d’une note, d’une multitude de notes, mais, au final, elle est une elle aussi : la partition de tel morceau. Une partition, elle nous parle de nous aussi, elle nous parle de l’Eglise et du monde, la partition unique, et en même temps si diverse selon le lieu où on l’interprète, selon le temps où on l’interprète. Pourtant ce sont les mêmes notes, les mêmes soupirs, les mêmes bémols, les mêmes bécarres, les mêmes dièses. Mais voilà que selon l’état d’esprit, selon le contexte de vie de celui qui va la jouer ou la chanter, elle sera plus vive ou plus paisible, elle sera plus lente ou plus rapide, elle sera plus forte ou murmurée. La partition, pour nous en Eglise, elle peut représenter l’Ecriture, la Parole, oui, alors elle est parabole. La Parole est une, mais selon le lieu où on va la lire, selon son contexte de vie, selon le contexte même du monde et de la société, alors elle va peut-être résonner différemment. Il y aura une multitude d’interprétations, il y aura une multitude de lectures. Alors, si les interprétations de la partition de musique ne se font pas la guerre, que les interprétations de la Parole ne se fassent pas non plus la guerre. Que l’on ne cherche pas à savoir quelle est la meilleure. Car finalement, elle est la meilleure pour celui qui écoute, car celui qui donne sens à l’interprétation de l’œuvre musicale, c’est celui qui est là dans la salle de concert, qui écoute et qui va se dire : eh bien ! Tiens, cet orchestre, ce musicien, ce chef d’orchestre, cette chorale a fait résonner pour moi une partition millénaire comme je ne l’avais jamais ressenti et j’ai vibré, et j’ai été ému, et j’ai pleuré, et j’ai vécu. Il en est de même peut-être lorsque nous sommes face à la Parole. Les interprétations sont multiples, à condition que la Parole reste unique.
Et la partition peut aussi être une seconde parabole, celle de l’Eglise, l’Eglise une qui traverse les âges et les siècles, et qui prend divers visages selon les lieux où elle se rassemble, selon les temps, selon les enjeux de témoignage au cœur du monde. Diversité des communautés chrétiennes, des interprétations de ce qu’est l’Eglise, unité de ce que le Christ donne comme Eglise. Vous voyez, chers amis, que la note de musique, que les notes de musique, que la partition nous parle finalement de nous et nous met devant les vrais enjeux d’aujourd’hui, les vrais enjeux de l’Eglise au coeur du monde : la communion, l’unité, l’harmonie ; la référence à quelque chose qui ne bouge pas, qui ne passe pas, qui est le même hier, aujourd’hui et qui le sera encore demain, comme cette partition écrite par Mozart, par Beethoven. Et en même temps, sa vie est celle d’aujourd’hui, elle n’est plus celle d’hier, elle n’est pas encore celle de demain. Car hier, les notes de musique étaient peut-être autres. Demain, elles seront autres. Mais celles et ceux qui seront rassemblés auront la même partition pour support, et ils auront à la faire vivre, et à en vivre. Et cela, ils ne pourront pas le faire replier sur eux-mêmes, isolés, ils le feront au coeur du monde. Et c’est là que la partition devient symphonie de la création, car il n’y a pas que l’homme qui chante, il n’y a pas que l’Eglise qui chante, il y a le monde, il y la nature, il y a la création : les arbres battent des mains… les mers mugissent… et les sons originels rejoignent les sons maîtrisés par les hommes.
Et c’est là, peut-être, que nous approfondissons notre connaissance et peut-être notre reconnaissance du mystère, du mystère de la Création, du mystère de l’Incarnation, du mystère de la Résurrection, du mystère de ce chemin commun, de tout ce qui est sorti de la bouche de Dieu, ce qui est resté mot, ce qui s’est posé comme une note de musique sur la partition de la Vie, ce qui est devenu matière, afin que la partition ne reste pas parole en l’air, ou note en l’air. Alors, chers amis, lorsque les notes, lorsque la partition, lorsque le monde chante à l’unisson, alors il y a la symphonie de l’amour de Dieu, de l’amour de Dieu pour nous individuellement, pour chacun d’entre nous, pour nos communautés, nos Eglises, mais aussi pour nos villages, pour le monde et pour cette création. Et là, réalisons-nous que toutes les notes ont leur place, que toutes les notes sont indispensables, même celles que l’on ne soupçonne pas, que l’on n’entend peut-être pas, que l’on n’est pas venu écouter. Toutes sont indispensables. Etes-vous déjà allés à un concert uniquement parce que vous saviez qu’au sixième mouvement, troisième portée, le triangle retentirait ? [rires]. Pas moi. Et peut-être que dans la salle de spectacle, je n’ai pas entendu le triangle, parce qu’il était couvert par les cymbales, par les violons, par les trompettes qui m’attiraient beaucoup plus, parce que dans l’air que je fredonne, jamais je n’ai fredonné le tintement du triangle, mais la mélodie des violons ou le battement des tambours. Et pourtant, le triangle a tinté, et sans lui l’œuvre originelle n’aurait pas été respectée. Comment faisons-nous attention à respecter le tintement du triangle, et acceptons-nous parfois d’être nous le tintement du triangle, au risque de passer inaperçu, mais bref serviteur inutile et pourtant indispensable ? La musique, ça fait parfois peur parce que lorsque l’on est seul devant une partition, on se demande parfois par quel bout la prendre. Quand on voit au début de la portée quatre dièses, on se dit : oh, aye aye, on va changer en trois bémols, ça en fera un de moins. Et pourtant, on a envie de s’y plonger, on a envie parfois comme nous l’avons fait tout à l’heure de chercher la note juste, et finalement d’arriver ensemble au point d’orgue, même si, entre temps, il y a quelques variations. Alors si nous aimons le faire pour chanter, allons-nous aimer le faire pour témoigner, pour servir, pour accompagner nos frères et nos sœurs en Christ, pour accompagner nos frères et nos sœurs en humanité, pour accompagner dame nature, oui je dis accompagner, car finalement, au début de l’histoire, nous sommes tous là dans le cœur de Dieu, dans la pensée de Dieu. Et Dieu, pour nous, a créé la Terre, comme une portée pour porter nos vies. Il nous a posé, comme le compositeur, sur cette terre, et puis il a donné quelques règles de vie. De temps en temps, son Esprit a soufflé pour que l’histoire s’accélère. De temps en temps, il a retenu le cœur de l’homme pour qu’il n’aille pas trop vite dans ses choix. De temps en temps, il a mis en lumière de grandes joies. De temps en temps, il a dit : attention, attention au blessé, à l’oublié ! Oui Dieu a créé la Terre pour y poser nos vies, et, sur cette Terre, nos vies doivent toujours faire retentir une mélodie, celle de l’Amour de Dieu pour tous et pour le monde.
Alors, j’avais envie de vous parler de cette note de musique, en fait de toi et de moi. J’avais envie de vous parler de cette partition qui est en fait notre prédication, notre témoignage, notre évangélisation, qui est cette richesse que nous voulons partager, dont nous voulons vivre. Et cela nous apparaît parfois comme tant difficile, oui difficile, parce que le monde murmure de tant de bruits qu’il semble ne plus avoir d’oreille pour nous écouter. Nous avons peut-être alors l’impression d’être le triangle dans le concert du monde, de retentir sans qu’on nous entende, de retentir sans que l’on prenne même conscience que l’on est là. Alors soyons vraiment un triangle, ne désertons pas, n’abandonnons pas, car le concert ne commencerait pas sans lui. Il se ferait punir le triangle, s’il n’était pas là. Alors, je sais bien, on n’aime pas les punitions, on n’aime pas se dire : aye, aye, aye, on nous remonte les bretelles. Non, on ne remonte pas les bretelles. On met peut-être un soupir, pour qu’en synode on reprenne une bonne respiration. On met peut-être un dièse pour retrouver un peu de hauteur. On met peut-être une belle clé de vie pour que le monde sache encore nous lire, nous entendre et peut-être alors nous interpeller.
Une note de musique, pas grand-chose. Quelques notes de musique, une communauté de vie. Une partition, un projet à proclamer. Et dans le monde, enfin, une symphonie à vivre, à écouter, quelque soit notre âge, quelque soit notre passé, quelque soit notre présent, mais sûr que Dieu nous promet le même avenir, le Royaume. Et pour y parvenir, alors soyons-en sûr, un seul peut nous aider, l’Esprit, car c’est lui qui donne le tempo de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour.
Je vous remercie.
Pasteur Olivier Filhol
Merville-Franceville, le 15 novembre 2019