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LE POIDS DES MOTS
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Message du président de région au synode 2023
MESSAGE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL
(Enregistré et retranscrit)
Chers amis, Chers frères et sœurs,
Dans le flot des paroles, dans la multitude des discours, en faut-il de supplémentaires, que dire encore ?
Depuis quelques jours je me pose la question de savoir quel message vous délivrer au milieu de l’actualité de nos communautés, mais aussi de l’actualité du monde, de l’actualité de nos sociétés. En effet face à certaines actualités, lorsque le synode approche, le président du Conseil régional se dit : « Faut-il encore dire quelque chose ? ». Je sais cela est souhaitable et certains d’ailleurs m’ont laissé quelques messages : « On attend ton message ». Alors, il faut bien, non parce que cela serait dans la Constitution, puisque, si vous regardez les étapes obligatoires d’un synode, il n’y a pas de message du président, le message est donc un cadeau. Ce n’est en rien une obligation institutionnelle ou constitutionnelle. Il y aura donc cette année encore un message.
Pour l’introduire, je voudrais reprendre le slogan d’un hebdomadaire : « Le poids des mots, le choc des photos ». Vous vous souvenez peut-être, ou vous avez encore présent à l’esprit ce slogan d’un hebdomadaire, qui essayait de dire peut-être à travers cela le sérieux de ses journalistes, la réflexion indispensable avant d’écrire un article, le coup d’œil de ses photographes, le temps pris pour étudier la bonne photo. Oui, faire attention au poids des mots, au choc des photos, afin que les mots puissent être audibles, recevables, et que les photos puissent être regardées. Depuis quelque temps, et je dirais de plus en plus souvent au fil des jours, ce slogan revient dans ma tête, je me dis : « Quel est ce poids des mots, quel est ce choc des photos ? Jusqu’où, jusqu’où devra-t-on assumer, être confronté à ce poids lourd des mots et à ce choc violent des photos ? ».
Nos actualités sont ponctuées malheureusement de cette violence des mots, de cette violence des photos, des images, et je me pose alors la question : « Et, en Église, où sont les mots qui ont du poids et les images qui sont pertinentes (pour traduire le terme choc) ? ». Oui, en Église, quel poids des mots, quelle pertinence des photos ? Car nous avons nous aussi une information à faire passer, nous avons nous aussi une vision à traduire en images, et nous avons envie, nous souhaitons que les mots soient entendus, reçus, et que les images parlent, interpellent. Oui, aujourd’hui dans ce monde de l’image, de la parole immédiate, comment l’Église discerne-t-elle ces mots, ces photos, ceux qui accompagnent sa présence au cœur du monde ? Car, finalement, nous sommes parfois un peu comme nos contemporains, les Lucky Luke du tweet, les surfeurs des réseaux, les Spider-Man de la toile, des assoiffés d’immédiateté.
Mais finalement en Église est-ce cela communiquer, partager ? Est-ce cela partager la vie du monde, ses actualités ? En Église, nous le savons, nous venons de le vivre il y a à peine une heure, en Église, il y a un chemin qui n’est pas uniquement l’écoute des mots, la contemplation des images, mais qui est celui d’une demande, d’une prière, d’un chant qui dit tout à la fois notre humilité face à la tâche immense et notre humilité face à Dieu, qui sans cesse nous appelle à vivre la mission de Son Église, à porter l’Évangile au monde.
Oui chers Amis, nous l’avons prié plusieurs fois il y a moins d’une heure, nous l’avons demandé plusieurs fois il y a moins d’une heure, nous l’avons chanté plusieurs fois il y a moins d’une heure, mais donnons-nous le temps à Dieu de répondre ?
« Ô Seigneur, donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour, pour que le jour qui se lève soit plus beau ». Parce que le jour d’hier est balafré, meurtri, parce que le jour d’aujourd’hui est douloureux pour nombre de nos contemporains et peut-être pour nous-mêmes, parce que nous croyons en cette promesse d’un jour plus beau, et que cela nous n’en doutons pas, même lorsque le poids des mots ou le choc des photos pourrait nous en faire douter. Pour que ce jour plus beau advienne, qui suis-je ? Quelle force, quelle imagination, quelle capacité à me mettre à œuvrer pour ce jour plus beau ? Alors, oui, « Seigneur, donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour pour que le jour qui se lève soit plus beau ». Nous l’avons demandé, nous l’avons prié, nous l’avons chanté. Avons-nous laissé le temps à Dieu de répondre à notre prière ?
« Ô Seigneur donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour pour que l’espoir illumine enfin nos yeux ». Nos yeux remplis de larmes face à la souffrance de nos contemporains, nos yeux qui se ferment devant l’insoutenable d’une image, nos yeux que certains voudraient figer sur une actualité, nous faisant alors oublier l’Ukraine, le Haut-Karabagh, le Darfour, le Maroc… sur lesquels nos yeux étaient fixés hier. Nos yeux que nous cachons parfois derrière nos verres protecteurs pour ne pas être trop atteints, nos yeux que nous bandons derrière nos bulles de certitudes, pour que l’image ne nous influence pas trop, ne nous atteigne pas trop. Alors oui, chers Amis, nous avons demandé au Seigneur son Esprit, son Esprit d’amour pour que malgré, ou avec les actualités que nous voyons, il y ait encore un peu d’espoir au fond de nos yeux. Avons-nous laissé à Dieu le temps de nous répondre ?
Nous avons demandé : « Seigneur, donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour pour que nos vies soient lumière et vérité. » Face à tous ces discours vrais ou moins vrais, témoignages ou propagande, paroles en l’air, promesses pour rassurer, face à tous ces cris de douleur, de souffrance, face à la vie parfois que l’on travestit, qu’il est difficile de vivre en lumière et en vérité. Car ce que nous voyons, ce que nous entendons parfois nous influence au point de ne plus avoir assez de force pour déranger, pour avoir une parole différente. Alors on se conforme, alors on se cache derrière le slogan d’un autre, alors on accepte que la légende d’une photo nous assimile à une pensée. Pour que nos vies soient lumière et vérité, ô Seigneur donne-nous ton Esprit. Avons-nous laissé le temps à Dieu pour répondre ?
« Ô Seigneur donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour pour que la paix soit au creux de nos efforts », tant nous nous sentons parfois fatigués, lassés, découragés, tant nous avons essayé d’œuvrer à la paix, de prier pour la paix, d’interpeller pour la paix, sans voir les choses changer. Tant nos mains sont peut-être blessées par les travaux du jour, par les travaux des chantiers pour la paix, pour la justice, pour la reconnaissance de l’autre. Alors parce que nous nous savons fatigués peut-être, désemparés, démunis, nous avons demandé à Dieu Son Esprit pour que la paix reste au creux de nos efforts. Mais avons-nous laissé à Dieu le temps de nous répondre ?
Je ne sais pas ? Et pourtant, je voudrais peut-être nous inviter à travers ce message, au cœur de la vie de nos communautés, mais aussi de nos sociétés et du monde, je voudrais nous encourager à laisser le temps à Dieu de répondre. Car il ne servirait à rien de prier, de supplier, s’il n’y avait pas le temps donné à Dieu pour qu’Il exauce. Faudrait-il cocher dans nos agendas : « Temps de la réponse de Dieu ». Je ne sais pas. Cela nous rappellerait peut-être de devoir y penser. Mais peut-on imposer à Dieu un temps pour sa réponse ?
Alors je voudrais attirer notre attention sur une manière peut-être de donner à Dieu le temps de répondre, la liberté de répondre : retrouver dans nos vies, dans la vie de nos communautés, dans la vie du monde, retrouver chacun, à son rythme, la grâce du silence. Nous n’aimons pas toujours le silence, nous ne savons pas toujours faire silence. Et pourtant, dans le brouhaha du monde, dans le tumulte des cœurs, dans l’agitation des sociétés, je crois que le silence doit avoir une place.
De quel silence est-ce que je veux vous parler ? Non du silence de fuite, de désengagement, de compromission, de désintéressement, non du silence qui ferait croire que l’on s’en fout, que ça ne nous touche pas, que ce n’est pas notre affaire. Je voudrais vous parler du silence habité, habité par la réponse de Dieu à notre prière. Vous rendre attentif au silence fécondé, qui est jardin de germination des combats pour la justice et pour la paix, du silence abandon à l’œuvre de Dieu en nous et autour de nous, du silence communion au silence de Dieu, au silence des cœurs en souffrance. Oui, du silence qui fait peut-être écho, dans les jours d’aujourd’hui, au silence du repos de Dieu au 7e jour de la Création. Alors que tout était accompli, bon, oui Dieu s’est reposé, a fait silence, mais il n’a pas fui sa Création. Il était là, présent à intervenir, présent à agir, présent pour sauver, présent pour relever. Oui, notre silence peut aussi être communion au silence du sommeil du Christ, la tête posée sur un coussin, sur une barque ballotée par la tempête. Un silence qui n’était pas une fuite, mais qui restait disponible à l’appel pour répondre et apaiser, pour conduire au port.
Je le sais, nous n’aimons pas toujours le silence et nous ne savons pas toujours faire silence. Et pourtant… et pourtant il y a peut-être là un cadeau que l’Église pourrait offrir au monde et à ses contemporains : le silence précurseur à la parole et à l’action, le silence annonciateur de nos paroles et de nos actions, le silence où, par grâce, Dieu nous conduit à trouver le poids des mots et le choc des photos, le poids des mots qui traduisent l’Évangile aujourd’hui et le choc, la pertinence des photos qui désignent le Royaume promis, mais déjà là en prémices. Il faut peut-être passer par cette porte étroite du silence pour éviter, éviter l’immédiateté de la parole que l’on pourrait regretter, éviter la parole qui serait clivante, car la mission de l’Église est bien celle de la communion, du lien de la fraternité, de la parole de salut. Il faut peut-être, pour les dire et les vivre aujourd’hui, les accueillir et les cueillir dans le silence du face-à-face avec le Père.
Oui, chers Amis, nos sociétés ont gommé le silence du monde. Il y a partout de la musique, il y a partout du bruit. Et si en Église nous offrions cette oasis possible au monde ! Afin de puiser là les forces nécessaires à nos combats pour la justice et pour la paix, pour la fraternité et pour la solidarité, afin de puiser là l’assurance et la certitude que ce que nous annonçons n’est pas une utopie, mais bien une promesse, celle du Père. Pour accueillir là la force de dire non, la joie de dire oui, la persévérance pour accompagner sur des chemins où notre prochain a besoin de nous, même si nous n’aurions pas choisi ces chemins-là. « Ô Seigneur, donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour ».
Les semaines qui viennent de s’écouler nous ont invités à plusieurs reprises à des minutes de silence pour partager la douleur, le combat, pour dire qu’on est là présent aux autres. Je ne vous inviterais pas à une minute de silence de commémoration. Mais je vous invite à une minute de silence pour offrir à Dieu un temps propice à Sa réponse. « Ô Seigneur, donne-nous ton Esprit, ton Esprit d’amour ».
[Le silence s’établit pendant une minute]
Ton Esprit donné, ton Esprit reçu, vient maintenant au secours de notre discernement pour que nous assumions le poids des mots, la pertinence des photos, afin que nos mots soient aussi forts que la force de vie de Ta Parole, afin que nos images soient aussi pertinentes que la vision de Ton Royaume.
Oui, chers Frères et Sœurs, il y a le poids des mots, il y a le choc des photos, il y a la profondeur du silence. Alors ne négligeons pas le silence réparateur, prophétique, annonciateur, précurseur. Ne négligeons pas le silence dont nos vies ont besoin pour tenir debout, dont nos yeux ont besoin pour rester ouverts, dont nos cœurs ont besoin pour rester unis, dont nos mains ont besoin pour rester ouvertes, dont nos oreilles ont besoin pour rester à l’écoute, dont nos bouches ont besoin pour rester en louange. Offrons cette grâce, invitons à cette grâce, non pour fuir le monde, non pour se couper du monde, mais pour accompagner le monde, pour porter le monde. Car dans le silence, il y a toujours la place pour la repentance et pour le pardon, alors que dans les cris, il y a trop souvent la place pour le jugement et pour l’accusation.
Au cœur de notre actualité, au cœur de l’actualité de nos communautés, faisons nôtre la mission du Seigneur pour son Église : être un lieu toujours disponible à la repentance et au pardon, un lieu toujours ouvert à l’accueil et à l’Esprit, un lieu toujours envoyé au cœur du monde, oui, envoyé, parce que le monde a besoin de repentance, de pardon, d’accueil et de l’Esprit.
Chers Amis, si j’avais pu, si j’avais osé, si j’avais eu le culot, je n’aurais rien dit ce soir. Mais vous m’avez accompagné pour oser une parole, pour oser quelques mots. Et maintenant, ces mots, cette parole, à vous, à vous de vous en saisir ou de les laisser s’envoler. A vous de les traduire, à vous de les porter. A vous de trouver, peut-être dans le silence, ce qui pour vous sera le temps donné à Dieu pour qu’Il réponde à la prière de votre cœur, de vos lèvres, de votre âme.
Le choc des photos, le poids des mots, la profondeur du silence, qu’en Église tout cela nous aide à dire et à vivre le Royaume, déjà là en prémices dans chacune de nos vies, dans chacune de nos communautés, sur chaque chemin du monde. Oui, que la profondeur du silence nous aide à être ces témoins d’un Royaume qui vient, car dans ce Monde Nouveau qui vient, la haine, les cris, la violence, la trahison, la mort seront enfin réduits au silence.
Pasteur Olivier Filhol
Criel sur Mer, le 17 septembre 2023
Illustrations : Le silence par Moti, Le silence par P. Poidevin, Ecouter le silence par C. Proulx, Le silence par Magelli, J’écoute le silence par N. Dumortier