Message du Président du Conseil Régional Synode Régional 2024

Message du Président du Conseil Régional

Synode Régional 2024

(Message enregistré et retranscrit par la suite)

  Chers Amis, chers Frères et Sœurs,

             Un message, encore un, un de plus et que devait-il être ? Comment le faire pour ne pas tomber dans l’émotion, pour la contenir, pour ne pas tomber dans des banalités, pour trouver encore une idée pour avoir un regard dans le rétroviseur, mais surtout regarder à travers le parebrise les chemins qui sont devant nous, un message tout à la fois bilan, mais aussi perspective ? Par quelle porte entrer ?

             Trente-cinq ans de présence en région Nord-Normandie, dont quinze à la présidence du conseil régional, j’aurais eu envie ou j’aurais envie de faire mon bilan carbone, parce que c’est la mode. Alors pour faire un bilan carbone, il faut reprendre ses agendas, mais il faut surtout reprendre, parce que lorsque j’ai débuté il n’y avait pas de GPS, ses cartes routières pour savoir par quels chemins on est passé, combien on a fait de kilomètres, à quelle vitesse. C’est un peu laborieux quoi ! Je n’ai pas eu le courage. J’aurais pu savoir quand même si j’équilibrais mes kilomètres en voiture avec mes trajets en train. Mais, en même temps, en Nord-Normandie, les trains on sait souvent à quelle heure ils partent, et encore ;  à quelle heure ils arrivent, c’est rare !  On est souvent en rade parce qu’un caténaire, une locomotive ou un chauffeur a oublié de se lever ou encore à cause des feuilles qui sont tombées sur les rails !

             Donc, non, faire un bilan carbone, c’est pas l’idéal. J’ai eu une autre idée. Je me suis dit : « Je vais faire un lexique des expressions que j’ai apprise ». Parmi celle-là, j’aurais retenu qu’un jour on m’a dit en souriant : « Ah ! Monsieur le Pasteur, vous êtes en train de loqueter avec la loque à loqueter ». Et il fallait que je décrypte que j’étais en train de faire le sol et la poussière entre les bancs du temple avec un chiffon mouillé ! Ou alors, ce très bon conseil à la sortie des conseils presbytéraux, lorsqu’en novembre les betteraviers salissent les routes : « Attention Monsieur le Pasteur, ne bennez pas ».  Ça veut dire : attention Monsieur le Pasteur ne partez pas au fossé, le sucre de betterave sur les routes, c’est plus glissant que le verglas !

             Mais bon, faire un lexique ? Qui lit les lexiques aujourd’hui ? Donc, non, pas faire de lexique. Reparler de rencontres, ça c’est émouvant. Alors je me suis dit : « Finalement, on aime bien les chiffres en Eglise, alors on va parler chiffres ». Pour parler chiffres, il me fallait quand même quelques notes. La froideur des chiffres : 5500 jours de présidence de conseil régional. Au cours de ces 5500 jours, il y a eu 2235 journées consacrées à des entretiens individuels. Il y a eu 1110 journées consacrées à des visites, des cultes, des rencontres, des conférences. Il y a eu, – tenez-vous bien Madame la Secrétaire Générale ! –, 527 jours de réunions pour l’Union Nationale : conférence des présidents, commission des finances, et j’en passe. Il y a eu quand même 151 journées de conseil régional. 95 journées de comptabilité, qui étaient joyeuses ! 48 jours de synode régional ensemble, un mois et demi, vous vous rendez compte, un mois et demi ensemble ! Et puis, bien sûr, il y a eu une multitude de journées d’administratif, de juridique, et puis alors, depuis ce satané COVID, de visios… Tout cela heureusement ponctuées de quelques journées de repos.

 

             Mais finalement les chiffres, c’est pas une bonne idée quoi ! Il y a peut-être autre chose à faire quand même quand on est synode. C’est peut-être faire une rétrospective des sujets de réflexion qui ont porté le synode à travers les messages, année après année.  Là aussi, il me faudrait des notes. Au cours des messages, on a quand même rencontré des personnages. Rappelez-vous en 2017, Alphonsine, pour ceux qui étaient là, qui nous a feuilleté sa Bible de famille. Il y a eu il n’y a pas si longtemps, en 2022, ce journaliste qui nous disait : « Mais, finalement, toi, est-ce que toi tu vis par la foi ? Tu me demandes de vivre par la foi, mais toi, tu vis par la foi ? ». Puis, je vous ai amené quand même promener en synode. On est allé sur un pont en 2011, et sur ce pont on a jeté notre pain à la surface de l’eau pour savoir si on allait le retrouver. 2024, on l’a retrouvé notre pain ? On est monté aussi au sommet des montagnes avec les alpinistes en 2016. Rappelez-vous la corde qui les lie, qui était notre lien de communion. Puis on est allé jusqu’au bout du bout du monde, et on a découvert que même là-bas, au bout du bout du monde, le Seigneur était présent. C’était en 2018.  En 2013, il y a eu un moment important dans notre région : on a accueilli trois départements. Comme c’était le chantier, on est allé visiter un chantier. Et, l’année suivante, comme pour se reposer, on est allé visiter l’atelier du vitrailliste pour découvrir que nous étions inlassablement passeurs de lumière. Puis il y a eu ces synodes portés par l’actualité, souvent l’actualité douloureuse pour nos communautés ou pour notre société. En 2012, nous avons parcouru les saisons de la vie, découvrir qu’il y a la dormition de l’hiver avant le printemps de la résurrection, les fruits de l’été et de l’automne. En 2015, au lendemain des attentats du Bataclan et des terrasses, nous nous sommes exhortés à choisir la vie, toujours choisir la vie. L’année dernière, à vivre par l’Esprit. Et puis on a eu un brin de nostalgie en 2021 parce qu’on s’est dit : « Et si on vivait comme avant ? ». Pour découvrir qu’il valait mieux vivre en avant et non comme avant. Et, toujours portés par quelques notes de musique, comme en 2019 où la note de musique nous a dit que nous avions toujours à mettre nos vies sur la portée de l’existence.

             On rabâche en faisant ça. J’ai entendu il y a quelques jours quelqu’un me dire : « Mais, finalement, tout est Grâce, tout a été Grâce ». Oui et non. Car, réellement, tout est Grâce ? Tout a été Grâce ? En relisant toutes ces années, je me suis dit : « Mais aurais-je pu dire tout est Grâce dans les moments d’épreuves, de difficultés, dans les moments de drames ». Peut-on dire tout est Grâce à l’enfant qui subit une violence, à un peuple qui est envahi ou qui reçoit des bombes sur sa tête ? Est-ce que tout est grâce, chers Frères et Sœurs ? Parole facile, mais une parole peut-être qui nous rassure ou alors nous permet de rester dans un certain déni de ce qui ne va pas. Alors, je préfère, ou je préfèrerais que nous soyons lucides. Non, dans l’existence, dans nos vies personnelles, dans nos vies communautaires, dans notre vie d’Eglise et dans la vie du monde, tout n’est peut-être pas Grâce. Et nous devons pouvoir le dire sans avoir peur et sans alimenter les peurs, sans douter et sans alimenter le doute de l’autre. Non, pour l’enfant victime de violence, tout n’est pas grâce. Non, pour le peuple envahi, assailli, martyrisé, tout n’est pas Grâce. Pour celui ou celle qui est nié dans sa dignité, dans son identité, tout n’est pas Grâce.

             Mes chers Amis, tout peut-être vécu, affronté, traversé avec l’aide de la Grâce. Et c’est ce que nous dit l’apôtre Paul lorsqu’il nous dit ou qu’il dit : « Ma Grâce te suffit ». Ce verset, cette parole, pendant 9 ans, lorsque je célébrais le culte dans le temple de Parfondeval, lorsque j’étais seul en chaire, je l’avais en grosses lettres sur le mur en face de la chaire. Seul le pasteur la voyait pendant le culte : « Ma Grâce te suffit ». Appel à la confiance, appel à l’abandon, appel à rester au service, non pas uniquement avec nos forces, avec nos dons, mais par Grâce, avec l’aide de la Grâce. Et je crois pouvoir dire, témoigner quelque part, que durant toutes ces années, les épreuves personnelles, les difficultés parfois rencontrées avec l’une ou l’autre des communautés, les réflexions, les interrogations, ont été vécues, ou je les ai vécues avec l’aide de la Grâce. Je crois pouvoir dire que ma seule réflexion, mon seul travail d’écoute n’aurait jamais suffi à avancer plus loin dans certaines situations. Seule la Grâce le permettait.

         Et je voudrais peut-être redire avec force, mais surtout avec foi : « Oui, la Grâce de Dieu te suffit ». Elle te suffit pour ta vie personnelle, pour ta vie relationnelle, pour ta vie communautaire. Elle te suffit pour être ce témoin au cœur du monde, cette lumière qui brille, cette couleur qui donne couleur au monde, cette couleur d’Evangile. Elle te suffit pour être cette parole et ce regard qui croise l’autre et qui lui dit : « Il y a quelque chose », alors que toi lui dis : « Il y a quelqu’un et je suis là en Son nom ». La Grâce nous suffit.

             Et Dieu n’est pas avare en Grâce. Dieu nous l’accorde et Il est fidèle lorsqu’Il nous la promet. Dans les années 1990, il y a eu des Assises de la Fédération Protestante à Lille dont le titre, le slogan était : « L’invasion de la Grâce ». Jeune proposant, je suis allé à Lille assister aux Assises de la Fédération Protestante de France. Ne me demandez pas qui a parlé, je n’en sais rien. Ne me demandez pas ce que l’on a dit, je n’en sais rien. Mais, ce dont je me souviens, c’est qu’elle portait ce titre qui m’avait à cette époque-là interpelé et qui m’a accompagné durant toutes ces années.

             L’invasion de la Grâce, quelle association ! L’invasion : dans notre langage et dans notre époque, c’est un mot qui dit beaucoup de négatif, de peur, de crainte, qui fait naître de l’angoisse lorsque l’envahisseur arrive, lorsque la destruction semble être là parce que l’invasion elle est rarement, au sein de nos sociétés, associée à beaucoup de bon pour celui ou celle qui est envahie. Il y a l’invasion des insectes aussi, et on essaie de s’en prémunir. Oui, vous le voyez, « invasion » j’en avais pas trop envie. Mais de la « Grâce » ! La Grâce, ça produit l’émerveillement. Quelque chose qui est gracieux, on prend son temps pour le regarder, le contempler, on a envie même de se l’approprier, d’en avoir une partie. L’invasion de la Grâce, voilà ce à quoi, chers Frères et Sœurs, Dieu nous invite. Il nous invite à nous laisser ou à nous garder disponibles à l’invasion de la Grâce, de Sa Grâce. Alors, sommes-nous disponibles, nous qui nous recroquevillons parfois dans ce que nous connaissons bien, dans nos rites, dans nos habitudes ? Nous qui fermons bien souvent nos volets et nos fenêtres, et parfois même nos portes, sommes-nous encore, au-delà de nos craintes, disponibles à l’invasion de la Grâce ? Notre monde, à travers certains choix politiques, économiques, parfois même éthiques, essaie souvent de se rassurer en définissant ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est autorisé, ce qui ne l’est pas, ce qui est bon pour l’autre sans savoir si c’est bon pour soi. Et nous, au nom de Jésus-Christ, comment nous rassurons-nous ?

             Il y a peut-être un chemin pour se rassurer : offrir sa disponibilité à la Grâce, à Celui qui sait au-delà de ce que nous savons, à Celui qui comprend au-delà de nos incompréhensions, à Celui qui est toute Grâce. Sommes-nous prêts, chaque matin, à laisser Dieu déposer une part de Grâce pour notre journée, une étincelle de Grâce pour nos nuits, une semence de Grâce pour nos travaux ? Sommes-nous prêts à faire ce pari, ce pari qu’au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer, construire, Lui pense et édifie ? Il fait plus que construire notre Dieu, Il édifie, Il élève. Faire le pari de la Grâce, c’est peut-être recevoir cet invisible qui tout de suite nous permet de mieux voir le visage de l’autre, et peut-être à travers son visage, son cœur. C’est recevoir ce qui nous permet d’entendre les mots de l’autre et au-delà de ses mots les pensées de son âme. Car si nous sommes ou si nous essayons d’être disponibles à la Grâce de Dieu, alors nous serons disponibles aux autres, non plus centrés sur nous-mêmes, sur nos peurs, sur nos inquiétudes, mais ouverts à demain et à l’autre.

 

               Alors, dans ce monde, si nous pensons pouvoir être au bénéfice de la Grâce de Dieu, que sommes-nous ? Comment vivons-nous ? Et en 1992, mon directeur de mémoire de théologie, à l’occasion de ma reconnaissance de ministère, m’a envoyé sur une page blanche une phrase, et je voudrais la partager avec vous, parce que je pense que c’est ce que vous pouvez être, ce que nous pouvons être chacune et chacun, mais aussi en communauté : « Sois une fontaine, ne retiens rien de ce que la source te donne ».

 

             « Sois une fontaine, ne retiens rien de ce que la source te donne ». Une fontaine, c’est une image qui, à moi le Méditerranéen, me parlait bien. Les fontaines au cœur des villages, les fontaines à la croisée des chemins. La fontaine, c’est ce lieu de libre accès. C’est ce lieu où l’on vient, où l’on se pose, où l’on prend, d’où l’on repart en joie, apaisé. La fontaine, c’est ce lieu où l’eau coule sans que l’on mette de robinet, où l’on ne cherche pas à la capturer, mais où elle coule avec une force qui ne dépend pas de nous, mais qui est la force du courant. Une fontaine, c’est ce lieu où l’on vient comme la Samaritaine, peut-être la tête basse, à l’abri des regards, mais où l’on peut faire une rencontre qui change la vie.

             Alors, oui, soyons ou essayons d’être des fontaines, des fontaines de la Grâce. Ne retenons pas pour nous-mêmes ce que Dieu nous donne, parce que la Grâce c’est la vie. Elle a sa source en Dieu et c’est une source intarissable. La Grâce, c’est un torrent d’amour qui enjambe les rochers de l’existence et permet d’aimer chacune et chacun, tel qu’il est, avec ses richesses et ses pauvretés, ses forces et ses faiblesses. La Grâce, c’est un fleuve immense qui irrigue les plaines les plus arides de nos vies et de la vie du monde. La Grâce, c’est un océan infini qui s’ouvre sur un lieu où l’on dira : tout est grâce enfin, car ce lieu c’est le Royaume où il n’y aura plus ni deuil, ni larmes, ni épreuves. Être des fontaines de la Grâce parce que le monde a soif. Nos sociétés ont soif même si elles ne veulent pas le reconnaître, et tôt ou tard elles auront besoin de boire un coup, tout simplement, pour se rafraîchir, pour rigoler. Et si ce coup, elles le buvaient à la fontaine de la Grâce parce que nous serons là pour leur offrir un coup à boire. A la fontaine, l’eau coule, ne se maîtrise pas et ce qui est pour moi toujours extraordinaire, c’est qu’à la fontaine on accepte de perdre l’eau, de gaspiller l’eau. Celle qui n’est pas bue, elle déborde et elle part dans le caniveau, elle rejoint un ruisseau, une rivière, un torrent, puis un fleuve et puis un océan. Et puis, un jour, elle tombe au sommet d’une montagne et elle revient à la fontaine. N’ayons pas peur, chers Amis, de voir de l’eau couler sans qu’on l’ait récupérée.

             Soyons dans la reconnaissance pour ce Dieu qui donne au-delà de ce dont nous avons besoin. Soyons dans la reconnaissance de ce Dieu qui gaspille, mais qui gaspille pour que le monde soit irrigué, abreuvé. Ce Dieu qui donne parce qu’Il aime, ce Dieu qui est venu nous rencontrer et qui a pris aussi, Lui, le temps de s’asseoir au bord d’un puits et peut-être un jour d’une fontaine.

             Vous voyez, 35 ans en Nord-Normandie, 15 ans à accompagner la région à travers la présidence de son Conseil régional. Des temps de grande joie, des rencontres inoubliables, des découvertes que je n’imaginais pas. Vous vous rendez compte, je n’étais presque pas monté au-dessus de Montélimar ! Et j’ai débarqué en Thiérache un jour de grand brouillard, et un brouillard qui a duré ! Et puis, durant ces années, des moments de larmes – il ne faut pas les nier – lorsque l’épreuve a surgi au sein d’une famille pastorale, au sein d’une communauté, d’un ami, d’un proche. Des heures à essayer de faire comprendre qu’il ne faut peut-être pas à avoir trop de réserves pour pouvoir partager et vivre un projet. Et puis, des moments où il a fallu essayer de dire : « Mais écoutez, accueillir trois départements supplémentaires, ça fera des kilomètres en plus, mais surtout des frères et des sœurs en plus ». Et puis, voir les réticences de certains : « Mais on quitte la région parisienne qui est riche et qui nous a toujours tout donné, et vous vous êtes pauvres ! Va-t-on encore nous aider ? ». Je me rappelle d’une de ces soirées, dans le temple froid et bien sombre de Saint-Just-en-Chaussée, avec les bureaux des conseils presbytéraux de l’Oise ! Les bureaux ont changé, et depuis tout s’est illuminé ! Vous voyez, c’est tout ça qui est beau et bon.

             Je pense que le fil conducteur de tout cela, ce qui a donné à nos regards de se croiser et de toujours se reconnaître frères, sœurs, même lorsque l’on n’était pas d’accord, le fil conducteur, le fil ténu, c’est la Grâce. C’est la Grâce de Dieu qui a fait nos rencontres, nos débats, nos réflexions, qui nous a permis peut-être un jour de trouver une solution et d’être tous d’accord. Là, c’était la Grâce sur la Grâce, comme la cerise sur le gâteau !

             Alors, oui, j’ai envie de vous laisser cette image qui ne m’a jamais abandonné et qui j’espère qui va encore m’accompagner quelques années. Soyez des fontaines de la Grâce. Ne retenez jamais individuellement mais aussi en Eglise, dans vos lieux de vie communautaire, mais aussi au cœur des villages et sur les routes de cette région, ne retenez rien de ce que la source vous donne. Et pour vous, – j’espère pour moi –, la source ne se tarira pas demain. Elle est intarissable, c’est l’amour de Dieu, c’est la Grâce du Père et c’est le souffle de l’Esprit.

 

Merci

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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