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LA BOITE A CAILLOUX
La Boite-à-Cailloux est une dépression de terrain naguère encore boisée et aujourd’hui labourée, sur le terroir d’Hesbécourt (Somme), entre Templeux, Jeancourt et Hargicourt, chefs-lieux actuels de trois paroisses réformées. Nous avons trouvé dès le XVIe siècle et pendant tout le XVIIe des protestants aux deux extrémités de la ligne ci-dessus tracée ; ils allaient alors au culte au nord (au Câtelet) ou au sud (à Lehaucourt) ou à l’est (Prémont, Bohain) : c’est à l’ouest qu’au temps de persécutions on se réunit, dans des régions moins fréquentées. Or il fallait passer par Nauroy. On partait par petits groupes, à la tombée de la nuit, de Bohain ; ceux de Brancourt se joignaient à eux ; à Montbrehain, parmi les protestants, à Nauroy, parmi les catholiques, il y avait des amis ou parents, hôtes chez qui on prenait un moment de repos, on chantait quelques psaumes, à mi-voix, peut-être… Et eux aussi, un jour, suivaient plus loin, à travers les bois ; et après avoir assisté aux réunions de la Boite-à-Cailloux, s’ils n’étaient pas (ce qui arrivait quelquefois) des espions ou des traîtres, plusieurs revenaient » retournés « , convertis.
- – L’origine de la « boîte à cailloux »
Le 3 novembre à été enregistré à la Conservation des hypothèque de l’arrondissement de Péronne l’acte du 11 août par lequel la Société est devenue propriétaire de 2 ares de terre à Hesbecourt, canton de Roisel (somme), tenant d’un bout au chemin d’Hesbecourt à Villeret, d’autre bout au « ravin de la Boîte à Cailloux », d’une lisière à Monsieur Maurice Drancourt, d’autre à Monsieur Gobet.
Les propriétaires de ce terrain acquis par les Trocme vers le temps de la Révolution (d’après les dires de Madame Drancourt, née Héloïse Gambier, âgée de 80 ans), ont été Jean-Pierre Trocme (mort en 1869), son fils Chrysostôme, son petit-fils Jules, enfin Madame Julien Martin, née Trocme.
Quant à l’origine de cette appellation, Monsieur le pasteur Paul Quievreux o bien voulu préciser ses indications.
« Le vrai nom en patois picard devait être la Boëte à Cailleux ou Cayeux ».
Le mot Bove désigne dans la région une cave, ou plutôt une sorte de réduit creusé dans la paroi latérale de la cave. Certaines de ces boves sont très longues et peuvent avoir une dizaine de mètres de profondeur. Il en existe plusieurs dans les vieilles maisons du Cateau. Souvent la bove est plus profonde que la cave, on y descend par plusieurs marches. Elles devaient servir autrefois de cachette en cas de siège, ou de prise de la ville. Par extension, ce mot s’applique à tout endroit creusé. Avant la guerre, dans la région de Nauroy, on voyait dans les champs de petites carrières d’où on tirait du « blanc » pour marner les terres. On tirait aussi de ces petites carrières, quand on en trouvait, des cailloux, et plus particulièrement du silex, pour empierrer les routes. Il est probable que la boëte à cailleux est une ancienne carrière à ciel ouvert creusée dans un talus, qui a existé à cette place (Monsieur Marcel Trocme, de Jeancourt l’a encore connu), elle a été nivelée pour la facilité de la culture. On en tirait des pierres, des cailloux, pour empierrer le chemin qui passe auprès, et celui de Jeancourt à Hargicourt. On pouvait s’y cacher pour y tenir une assemblée. Elle était en plein sur le plateau, et on pouvait voir venir les troupes chargées de disperser les fidèles, soit de Jeancourt, soit d’Hargicourt, soit de Templeux. Il est probable, qu’il y avait de plus des guetteurs pour signaler leur approche. Ce talus était boisé. Il existe encore, sur la route de Pontru au Verguier, en contrebas, une ancienne carrière de ce genre.
- – Les réunions de la « boîte à cailloux » (1691)
Enfin, en octobre 1691 un pasteur originaire de Vervins, émigré après la Révocation, puis revenu d’Angleterre, Gardien Givry, arriva à Saint-Quentin: c’est lui qui passe pour avoir tenu les premières réunions à la Boite-à-Cailloux, bien qu’il ait pu y en avoir d’autres avant lui, en l’absence de tout pasteur. Quatre députés de sept villages vinrent le prier de passer chez eux, parce qu’ils voulaient abandonner le catholicisme. Le dimanche suivant un de ces députés mena Givry dans un vallon où étaient 500 personnes, de 110 familles catholiques. Tous déclarèrent qu’ils voulaient abjurer. » Après ces déclarations, il prêcha dans cette assemblée depuis neuf heures du soir jusqu’à minuit, à la lueur des feux et des flambeaux; mais il ne voulut pas pour cela recevoir leur abjuration, afin qu’ils n’eussent aucun sujet de dire qu’on les avait surpris. Il les remit au dimanche suivant, et l’assemblée s’étant faite au même endroit et à la même heure, il essaya de faire comprendre à tous ses auditeurs les avantages de la R. P. R.; et en même temps les dangers temporels auxquels s’exposaient ceux qui demandaient à la suivre. Mais tous ayant répondu qu’ils ne voulaient plus être de la communion de Rome, il reçut toutes leurs abjurations, et ne voulut point cependant les admettre à la Cène, parce qu’ils n’étaient pas assez instruits. Il n’a pu se souvenir que du nom de Templeux, qui est un des sept villages, ayant oublié les six autres ; mais il dit que tout le monde sait à Saint-Quentin que les habitants de ces sept villages ont abjuré la religion catholique dont ils faisaient profession « .
Les deux historiens qui ont examiné de plus près la question conjecturent que ces sept villages étaient, outre Templeux-le-Guérard, Lempire, Hargicourt, Jeancourt, Vendelle, Nauroy et Montbrehain, ou peut-être le Ronssoy. Ils croyaient que ces villages ne renfermaient aucun protestant avant la Révocation: cependant la tradition locale, au commencement de notre siècle, renfermait des indications contraires, conservant vaguement le souvenir de deux sortes d’éléments dans la composition des Eglises : » Depuis plus de cent ans, écrivait-on en 1806 à Rabaut le jeune, il y a des réformés à Hargicourt qui ont professé ouvertement notre religion, ainsi que dans les villages circonvoisins, C’était sans doute un résidu que Dieu y avait conservé après la Révocation de l’Edit « .
Ces centaines d’abjurations eurent un grand retentissement ; les autorités s’en émurent : » Comme Sa Majesté, écrit aux évêques de Noyon et d’Amiens, le secrétaire du roi, a connu qu’on pourrait empêcher ces perversions et réunir sincèrement les nouveaux catholiques, si les évêques s’appliquaient à connaître les conducteurs des protestants aux lieux où les exercices ont été faits, et à les gagner par des récompenses et bienfaits de Sa Majesté, elle m’a ordonné de dire à l’intendant de conférer avec vous sur ce qu’il y a à faire, et de vous écrire que vous ne pouvez rien faire qui lui soit plus agréable que d’empêcher ces perversions « .
Givry fut arrêté à Paris en mai 1692 et enfermé à l’île Sainte Marguerite : mais les assemblées continuèrent. Les intendants Bossuet et Chauvelin reçurent de vifs reproches : » Sa Majesté a appris avec étonnement qu’un tel désordre soit arrivé dans votre département, sans que vous en ayez été averti ; Elle m’ordonne de vous dire que vous ne devez rien négliger pour en empêcher le progrès, voulant que vous fassiez dès à présent arrêter le nommé Potel, de Templeux, qui est marqué comme un des plus coupables, et que vous m’informiez des noms des six ou sept autres qui le seront le plus, afin que, suivant l’avis que vous me donnerez, on les fasse arrêter et mettre où vous jugerez à propos. A l’égard des autres il faut que vous employiez les voies de la douceur pour tâcher de les ramener, et leur faire connaître leur égarement, ainsi que le danger auquel ils se sont exposés de pouvoir être sévèrement punis comme relaps « .
3 – Notes (extraites de « Histoire d’Hargicourt » de Charles LHOMME (1959)
La « Boîte à Cailloux » où le culte protestant fut célébré jusqu’à la Révolution de 1789, se trouve à 300 m de la ferme de Fervaques, dans le vallon situé sur le territoire d’Hesbecourt, à 2 km d’Hargicourt, de Jeancourt et de Templeux.
Autrefois ce vallon était couvert de forêts. Il est actuellement réduit à un couloir de 110 m de long sur 12 m de large et 3 m de profondeur. Nos ancêtres l’ont connu plus profond et plus large, sans la rideau d’arbres qui le protège, il aurait certainement disparu depuis longtemps. Lieu de prière et d’héroïsme, il inspire le respect de tous les protestants. Situé à 116 m d’altitude, il échappait à la vue pendant que des guetteurs, placés sur les hauteurs voisines (141 m d’altitude au sud-est et 144 m au nord-ouest) pouvaient voir venir la maréchaussée.
Sur l’initiative du pasteur Panier, la Société d’histoire du Protestantisme en est devenue propriétaire. Un monument inauguré le 16 septembre 1934 par les pasteurs Pannier, Beuzart, Maréchal et Fauvel rappelle la fidélité des protestants au temps des persécutions. En 1961, le pasteur Givry, dit Duchêne, vint y prêcher devant 500 personnes, de 9h à minuit, à la lueur des feux et des flambeaux.
- – Comment se rendre à la « boîte à cailloux » en partant d’Hargicourt ?
Pour ce rendre à la « Boîte à Cailloux », prendre le chemin à gauche à la sortie d’Hargicourt (cimetière anglais), le suivre pendant 1,5 km jusqu’au croisement de chemins de terre. Vous apercevez alors à droite un petit bois avec 4 grands peupliers, c’est là ! Il faut traverser un champ sur 100 m (par temps sec évidemment !), attention de nombreux silex sont présents sur le sol .