L’HISTOIRE DU PROTESTRANTISME EN THIERACHE

C’est la tradition orale qui situe vers 1525? le début du protestantisme en Thiérache. Le pasteur Paul Beuzart, auteur d’un livre, « le protestantisme en Thiérache » nous raconte ceci : « les environs de Meaux étaient couverts de riches moissons, à l’époque de la récolte une foule d’ouvriers y accouraient des contrées avoisinantes. Se reposant au milieu du jour de leur fatigue, ils s’entretenaient avec les gens du pays qui parlaient d’autres semailles et d’autres moissons. Plusieurs paysans venus de Thiérache, et surtout de Landouzy persistèrent, de retour chez eux, dans la doctrine qu’ils avaient entendue, et il se forma en ce lieu une église évangélique qui est une des plus anciennes du royaume. »

Nous ne possédons pas de document prouvant l’exactitude de ce récit mais nous savons que les migrations saisonnières des Thiérachiens étaient habituelles. Il est également certain que le diocèse de Meaux avait à sa tête l’abbé Briçonnet qui, influencé par Lefèvre d’Etaples avait entrepris de réformer ses paroisses. Il voulait rendre accessible la parole de Dieu à tous, en utilisant la langue du peuple et non pas le latin. Il expliquait la Bible lui-même et exigeait des connaissances de ses prêtres souvent peu soucieux de la vie spirituelle de leurs ouailles.

 

Deux événements témoignent ensuite d’une diffusion du protestantisme en Thiérache. Ce sont l’arrestation de Georges Magnier et l’affaire Nicole Obry ,- En 1550 Georges Magnier, savetier à Lemé fut condamné aux galères. Il allait lire la Bible de maison en maison et faisait des réunions dans les bois à Lemé. Georges Magnier fut arrêté, ce fut le premier martyr en Thiérache. Les croyants, des gens simples, se regroupaient pour prier et chanter des psaumes sans qu’il y ait de grand prédicateur. C’est sans doute par le colportage de la parole biblique que furent fondées les premières communautés protestantes.Cependant une organisation va rapidement être mise en place puisque en 1563 au synode de la Ferté sous Jouarre on demande au pasteur de Montcornet (village dont le pasteur est protestant ) de « secourir la paroisse de Parfondeval. »

– Nicole Obry, une jeune femme de Vervins, fut saisie en 1565 de crises hystériques et on la crut possédée du démon. Les prêtres de Vervins procédèrent en vain à des séances d’exorcismes auxquelles assistaient des protestants., parmi lesquels plusieurs pasteurs. La malheureuse fut conduite en la cathédrale de Laon puis d’Amiens. Pendant ses crises il suffisait de lui poser une hostie sur la bouche pour la ramener au silence. Cet épisode eut un retentissement considérable. De nombreux écrivains l’ont raconté. L’affaire parvint à la connaissance du roi Charles IX qui voulut la voir. Les catholiques criaient au miracle tandis que les protestants criaient à la supercherie. De la présence de protestants autour de Nicole Obry on peut conclure que la Réforme avait pris pied autour de Vervins.

 

En 1572 eut lieu la St Barthélémy, épisode sanglant des guerres de religion. On relève dans l’histoire d’Origny en Thiérache que « les protestants furent pris de terreur et par peur abjurèrent et se mirent sous la protection de l’évêque de Laon ». Abjuration de façade puisqu’il s’agissait de sauver sa peau. A l’automne de la même année on voit poindre un début de courant d’émigration. On relève ainsi dans les habitants de Genève les noms d’un mercier de Brunehamel et d’un maçon de Nampcelles la cour. C’est donc dans une Thiérache apeurée, dévastée mais marquée par la Réforme que vont retentir les décrets de l’Edit de Nantes en 1598. Celui-ci accordait à la Picardie deux lieux de culte : l’un près de St Quentin, Lehaucourt, l’autre près de Boulogne, Desvres. Cela revenait à entraver le développement du mouvement réformé en Thiérache. Mais heureusement un article supplémentaire mentionnait : « en plus de ces villes l’exercice du culte pourra être fait dans des maisons de fief. » En d’autres termes on pouvait aussi pratiquer le culte à titre privé dans les châteaux des seigneurs protestants après avoir obtenu une dérogation mais, pour l’obtenir, il fallait lutter contre la mauvaise volonté des autorités. En Thiérache il y eut trois lieux de rassemblement ; Gercy, Chéry-les-Rozoy, Renneval.

 

Dès 1665 eut lieu «la petite révocation » c’est à dire une série de mesures interdisant certaines professions comme médecin, avocat, notaire, puis obligation d’enterrer les protestants la nuit, destruction de temples et interdiction de de se réunir dans des maisons particulières.

 

En 1685 l’Edit de Nantes est officiellement révoqué. Les protestants de Thiérache qui avaient déjà enduré des années de persécution et de brimades espéraient toujours une amélioration de la situation, la Révocation les a désarmés, ce fut un véritable ébranlement. Dans plusieurs villages la liste des nouveaux convertis s’allongeait. On parla même « d’abjurations générales » comme à Vervins où 18 à 20 personnes abjurèrent ensemble. D’autres partirent vers l’étranger en espérant revenir dès que la tempête de la révocation serait passée. La proximité des frontières et le pays boisé facilitaient l’évasion. Un grand nombre de Thiérachiens partirent pour l’Angleterre, la Hollande, l’Ecosse, l’Allemagne ou l’Afrique du Sud. Certains itinéraires ont été reconstitués. L’un des plus connus impliquait un aubergiste qui, en accord avec le curé conduisait les fugitifs par Landouzy, Hirson, la forêt de St Michel et leur faisait franchir la frontière vers les sources de l’Oise. Le curé, Jacques Chabot, paya cher sa complicité et fut condamné aux galères.

 

Il y eut aussi des dragonnades. Les soldats du roi semaient la terreur et l’épouvante sur l’ordre de l’intendant de Soissons qui écrivait en 1685 « J’ai l’honneur de vous faire savoir que nos troupes vont parcourir tout ce pays-là (Laon, Vervins, Coucy) et obliger les habitants à abjurer» Cependant malgré l’émigration et les conversions forcées beaucoup restèrent et les réunions ne cessèrent jamais en Thiérache. Des pasteurs, au péril de leur vie, présidèrent des assemblées. L’un d’entre eux né à Vervins, Gardien Givry, eut un ministère bref mais remarquable. Il prêcha à Landouzy, à Lemé où il trouva plus de 300 personnes et baptisa 11 enfants, et à «la boîte à cailloux » près de Saint-Quentin. Arrêté à Paris il fut emprisonné sur l’île de Ste Marguerite où il mourut.

Lorsqu’ils n’avaient la visite d’aucun pasteur les protestants de Thiérache trouvèrent un soutien à Tournai en Belgique. Cette ville possédait des pasteurs grâce à sa garnison hollandaise. Les protestants allaient y faire bénir leur mariage. On s’y rendait clandestinement l’hiver, après les semailles, avec une paire de sabots de rechange. Il fallait une semaine pour faire l’aller-retour.

Après la mort de Louis XIV des assemblées eurent toujours lieu au désert. Le pasteur Charmuzy qui avait prêché dans les bois de Lemé fut arrêté en 1770 et jeté en prison où il mourut. Avec la Révolution française enfin les protestants ont obtenu le droit de pratiquer leur religion sans être inquiétés.

Le XIXe siècle fut marqué par l’extension du protestantisme local. De nombreux temples furent construits. Les temples de Landouzy, Parfondeval, Leuze ont été construits entre 1840 et 1860. Celui de Lemé fut construit un peu plus tôt, en 1820 alors que s’y trouvait un pasteur au ministère remarquable, Antoine Colani, apôtre du réveil. Celui-ci accueillit chez lui des étudiants missionnaires qui partirent ensuite vers l’Afrique du Sud. Un de ses gendres fut à l’origine d’un orphelinat pour garçons qui accueillit des enfants de 1851 à 1974.

 

Vers 1830 apparut un mouvement dissident, l’irvingisme, très tourné vers la fin des temps et le retour du Christ fixé au plus tard pour juillet 1835. Un cimetière irvingien existe toujours à Landouzy.

 

Dans la première moitié du vingtième siècle les protestants de Thiérache, bien que divisés en deux associations cultuelles, se retrouvaient régulièrement. Les protestants vivaient un peu différemment des catholiques. Ils ne participaient pas aux fêtes de village, ne jouaient pas aux cartes et ne travaillaient pas le dimanche. Ils se mariaient presque toujours entre eux.

 

Puis notre paroisse a subi l’exode rural. Composée autrefois d’une majorité de petits agriculteurs on y trouve maintenant une majorité de retraités. Elle compte environ 80 familles disséminées. Deux lieux de culte sont régulièrement utilisés en alternance, Landouzy et Parfondeval, les deux autres Leuze et Hirson, le sont plus rarement. Des journées de fête exceptionnelles peuvent encore rassembler une centaine de personnes mais notre fête de chant, qui existait depuis 40 ans et connaissait un beau succès, peine à se maintenir. Notre pasteur, qui réside à Landouzy, doit souvent s’absenter pour apporter de l’aide aux paroisses voisines sans pasteur, en particulier celle de Maubeuge. Mais des petits groupes (prière, lecture œcuménique, étude biblique, chorale) connaissent toujours une belle vitalité.

L’histoire protestante si particulière de notre région était racontée au musée de Lemé qui occupait le temple désaffecté. Mais au bout de 18 ans le conseil d’administration vieillissant et le petit nombre de visiteurs nous ont contraints à fermer ses portes.

 

Enfin une note positive pour terminer. Nos cultes bénéficient, surtout l’été, de la présence de vacanciers venus des pays Bas. Un jeune couple hollandais s’est installé chez nous et s’investit dans la vie paroissiale nous apportant nouveauté et dynamisme. Aujourd’hui toujours fiers de notre riche passé nous devons nous montrer capables de transmettre autre chose qu’une identité et des valeurs. Tout en nous adaptant à l’évolution de notre paroisse nous devons témoigner de la Bonne Nouvelle qui surgit de la rencontre avec Dieu.

 

Evelyne Loizeaux

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