Chers amis,
Comme avant !
Ah ! ça fait plaisir d’être réunis, d’être ensemble, de sortir de l’écran ! Ah ! Je peux faire des gestes, je peux marcher. Je suis sûr que vous allez continuer à me voir contrairement à l’année dernière où j’étais figé, regardant l’œil de ma caméra, à faire attention de bien rester dans le cadre. Qu’est-ce que ça fait plaisir !
Comme avant … ou presque, pas tout à fait comme avant. Comme avant, mais est-ce que c’est ça l’essentiel ? L’essentiel n’est pas là, on le sait bien. Comme avant en synode ; comme avant c’est aussi une parole du monde. Car, lorsque vous ouvrez les informations, on vous dit : ça y est le CAC 40 a retrouvé son taux d’avant, comme avant ! On vous dit : attention journée de pollution, comme avant ! On vous dit : il y a trop de migrants sur les plages du Nord, comme avant ! On vous dit : allez boire des bières, allez au théâtre comme avant ! Et on vous dit : revenez au temple, allez à l’église, comme avant !
Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais ces deux petits mots « comme avant » nous les disions souvent. Avant c’était les mots des nostalgiques, des passéistes. Et voilà qu’une crise fait que ces deux petits mots sont devenus des mots libérateurs. : je me sens bien comme avant ; qu’est-ce que j’aspire à ce que ce soit comme avant, que je ne sois plus uniquement chez moi, avec des règles que d’autres me donnent. Comme avant ! Et vous trouvez que c’est bien comme avant ? Que c’est suffisant ce comme avant ? Que c’est biblique ce comme avant ? Que c’est l’Evangile ce comme avant ?
Oui, cela fait plaisir, en effet de se retrouver comme avant, ensemble. Cela fait plaisir de ne plus être restreint à un écran d’ordinateur. Cela fait plaisir d’aller au théâtre, d’aller boire une bière. Cela fait plaisir de pouvoir de temps en temps enlever le masque, de pouvoir manger ensemble. Mais est-ce réellement comme avant ? Est-ce que le présent, le temps présent peut s’associer à cette expression : comme avant ? Il me semble que la crise du Covid que nous venons de vivre et qui n’est pas finie a exacerbé cette expression du « comme avant », jusqu’à nous faire tomber dans l’erreur et nous faire croire que notre seule aspiration, nos seules attentes se réduiraient à nous faire retrouver le monde d’avant. Est-ce que notre attente, notre désir, notre espoir peuvent se résumer à retrouver le monde d’avant ? Est-ce que notre quête est celle uniquement d’un paradis perdu ? Est-ce que notre présent, pour être exaltant, joyeux, doit redevenir notre hier ?
C’est un peu la question qui trotte dans ma tête depuis un certain temps. Car sans nous en rendre compte, hier, l’avant est presque devenu notre obsession. Et je dirais pas qu’à nous, malheureusement, parce que ce ne serait qu’à nous, dans nos petites vies, dans nos petites communautés… passe encore, mais j’ai presque l’impression que c’est devenu l’obsession d’un certain nombre de polémistes ambitieux, qui voudraient nous faire croire que le « comme avant » est le mieux. « Comme avant », celui d’une société peut-être très sédentaire avant qu’elle ne soit enrichie de vagues migratoires. « Comme avant », comme avant au temps du roi qui avait une loi et une foi imposée à tout le monde. « Comme avant », petit refrain, deux petits mots tout simples dont on avait l’habitude mais qui cachent peut-être bien des dangers.
Alors, pour ouvrir ce synode qui n’est finalement pas du tout comme avant, j’aimerais simplement que ceux qui sont en synode présentiel pour la première fois lèvent la main … ceux qui sont là pour la première fois en présentiel. Oui, il y a en a qui n’osent pas lever la main ! J’en vois qui … Alors, il y en a qui sont quand même ici en présentiel pour la première fois, en synode … ici … en Nord-Normandie ! Voyons ! Alors, représentants de leur Eglise locale, Il y en a ! Ah ! Vous voyez que ce n’est pas comme avant, on a quand même comme avant perdu parfois l’habitude de se manifester pour dire : je suis là !
Alors ce synode n’est pas comme avant puisqu’il y a bien de visages nouveaux. Ainsi pour ouvrir ce synode qui n’est pas comme avant je voudrais que l’on se pose quand même la question de comment en Eglise, habitée d’une Présence et d’une Parole, nous sommes présents dans la vie du monde, avec une parole qui ne soit pas uniquement l’écho ou le refrain du monde, pour faire comme, pour avoir l’impression que le monde va nous comprendre. Et en lisant la Parole, en relisant l’Evangile, il me semble que l’on peut aussi reprendre deux petits mots et comme ça on en aura un de commun avec le monde, mais un de différent. Et dire : « En avant ! ». Car l’Evangile, l’histoire de Dieu avec son peuple ce n’est pas redevient avant mais c’est bien avec l’expérience que tu viens de vivre, qu’elle soit joyeuse ou triste : « En avant ! ».
Ton aujourd’hui te change, ton aujourd’hui conduit vers un lendemain qui ne sera jamais hier. Oui Dieu nous appelle à un avenir qui ne sera jamais notre hier. Alors vous voyez que le « comme avant » il en prend un coup. Si notre désir, si ce qui nous pousse à témoigner est de redevenir comme avant, alors nous passons à côté de notre mission d’Eglise, de notre présence au monde en tant que chrétien.
En effet, après le désert, ou pendant le désert, beaucoup d’Israélites avaient envie du « comme avant » en rêvant aux pots de viande en Egypte et finalement leur lendemain ce fut l’abondance des fruits de la terre promise et non les pots d’Egypte comme avant.
Après une guérison, l’aveugle ne redevient pas comme avant mais le Christ lui dit : « Va en avant » avec moi. Et l’on pourrait reprendre bien des histories de Dieu avec son peuple
On ne trouvera jamais « revient » si ce n’est « vers ton Père », on trouvera toujours : « Va vers ton frère ! »
En avant !
Chers amis, en ces moments où la vie reprend mais où il y a encore bien des incertitudes, où il a des apaisements mais encore dans les cœurs bien des peurs, où il y a des joies teintées de tristesse, ne plombons pas nos aujourd’hui par le poids trop lourd de redevenir comme avant. Car ce serait un projet, une mission que nous n’arriverions jamais à relever. Car il y en aura toujours un pour dire : « Avant c’était encore mieux ! »
Nous oublions souvent tout ce qui avant était pesant, car ceux d’avant disaient : « c’était mieux avant » alors il aurait fallu revenir avant avant…
Vous voyez le piège que peut nous tendre cette sortie de crise, cette reprise d’activité si nous voulons revenir à avant.
Certes c’est parfois rassurant et il ne faut pas tout rejeter de l’avant, mais faut-il lui redonner vie ?
Aujourd’hui l’important c’est l’œuvre de l’Esprit Saint, c’est l’œuvre de cet Esprit qui soufflait dès l’avant, de l’avant de l’avant de l’avant… C’est l’œuvre de Dieu qui traverse le temps sans être du temps, puisqu’Il était qu’Il est et qu’Il sera. C’est l’œuvre du Christ présent sur les chemins de cette terre pendant quelques années et finalement présent jusqu’à la fin des temps, mystérieusement peut-être, mais présent pas futur et pas passé, là pour nous aider à aller en avant, à aller de l’avant.
Mais c’est difficile de se remettre en mouvement, c’est difficile aussi de se retrouver ne sachant pas comment les uns et les autres ont vécu ces temps où nous ne sommes pas vus, où nous avons vécu un autre rythme, où nous avons peut-être perdu, oui perdu l’habitude d’aller vers l’autre.
Oui, nous avons finalement perdu parfois l’envie d’être ensemble. Parce que être ensemble ça coûte un peu, ça demande de prendre du temps, de se décentrer, de ne pas être uniquement sur ce que je veux, ce que je peux, ce que je veux de l’autre.
Comme avant ? Mais comment vivions-nous avant ? On vivait finalement assez insouciant.
Et puis c’est arrivé. Et il a fallu réagir, s’adapter, et là nous n’avions pas de référence d’avant.
Et nous y sommes arrivés sans regarder au passé tout simplement parce qu’un petit virus, un petit grain de sable était venu bloquer tous les avions du ciel et tous les trains de la terre, toutes les entreprises et toutes les petites rencontres jusque dans les églises de campagne. Pour réagir à cela il n’y avait aucune référence à attendre. Alors nous nous sommes peut-être laissé guider certains diront par notre intuition d’autres par l’Esprit Saint et je pense personnellement vraiment par les deux, notre intuition et l’Esprit Saint.
On a été créatifs pour faire en sorte que des hommes et des femmes dans l’impossibilité de se rencontrer puissent quand même être ensemble. Et on a vu fleurir bien des initiatives, mais une fois que l’on sort de la crise toutes ces initiatives qu’en fait-on ? Tout ce temps qu’on a pu prendre pour téléphoner à une personne fragile, tout ce temps que l’on a pu prendre pour envoyer des messages, tout ce temps nous avons l’impression que nous ne l’avons plus, les agendas se remplissant si vite !
Alors, j’aimerais nous exhorter à ne pas recommencer comme avant, parce que cela voudrait dire que bien des isolés ne recevraient plus d’appels téléphoniques pour dire comment ça va, que bien des membres de nos églises dont le nom est inscrit sur nos fichiers ne recevraient plus de nouvelles ou de petits messages réguliers. Vous allez me dire : « mais on n’a plus le temps ! ». Toutes les réunions ont repris, on n’est plus dans notre canapé à ne plus savoir que faire. Mais avons-nous fait cela parce qu’on n’avait plus le temps de faire autre chose ou avons-nous fait cela parce qu’on aurait pu le faire depuis longtemps ? Parce que l’on aurait peut-être depuis longtemps dû se poser la question de comment ne pas oublier tous ceux et toutes celles dont le nom est inscrit sur nos fichiers ? Comment prendre le temps de prendre des nouvelles de celui ou de celle qui ne peut plus être en présentiel, même sans covid ? Et c’est peut-être là que nous pouvons ensemble nous dire : « En avant ! » riches de cette expérience, riches peut-être de ce que nous avons redécouvert, riches de tous les mercis qui nous sont revenus de gens que l’on ne connaissait plus.
Riches de tout cela, avançons-nous ensemble, réfléchissons ensemble : « Comment aller de l’avant ?, comment se dire au fond du cœur que je n’ai pas envie que mes lendemains ressemblent à mes hier, que ce soit en humanité, que ce soit en société, que ce soit aussi en Eglise ? ».
Toutes les idées que j’avais pour mon message, les présidentes ou présidents me les ont piquées au fil de temps. La présidente du Conseil national, parce qu’il y a eu un synode national à Sète il y a trois semaines. Vous lirez son message sur la confiance, donc je ne vais pas vous reparler de confiance. Et puis il fallait traduire la confiance autrement et je me suis dit il y en a un avant moi qui a dit « N’ayez pas peur » mais il y a un président qui vous a dit mardi soir de ne pas avoir peur. Donc en fait vous êtes blindés quoi, vous savez qu’il faut avoir confiance, vous savez qu’il ne faut pas avoir peur, donc moi je vous dis : »En avant ! » et finalement vous avez tout compris.
Mais « en avant » c’est avoir avec un bel élan. Et j’aimerais peut-être que durant ce synode ce qui nous soit donné, ce ne soit pas obligatoirement de grandes décisions finalement, mais ce soit cet élan, ce nouvel élan, ce qui nous porte vers Dieu, ce qui nous porte vers l’autre, ce qui nous porte les uns et les autres ensemble, vers ce monde qui a soif d’apaisement, soif d’espérance, soif de lieux d’accueil, soif de silence, mais pas de silence vide, non d’un silence habité d’une présence qui est écoute, qui est bienveillance, qui est miséricorde, qui n’est peut-être pas exigence, demande de ressembler à ou de faire comme si avant était revenu.
Et pour retrouver cet élan ou ce nouvel alors il faut être en synode ensemble, mais pas être en synode conclave, cela ne servirait à rien, être en synode ouvert.
Ouvert à ceux et celles que nous représentons, ouvert aussi à celles et ceux et aux communautés qui ne sont pas représentés durant notre synode mais qu’on ne doit pas oublier.
Ouvert à notre Union d’Eglise, à chaque église locale dans sa diversité, à chacune des régions.
Ouvert aux questionnements de ce monde car il ne servirait peut-être pas à grand-chose d’être toujours et uniquement dans l’exhortation interne, dans l’édification interne, si nous n’arrivions plus à nous ouvrir à l’évangélisation, au témoignage, à la diaconie, non pas uniquement pour aider celles et ceux qui sont des nôtres et dont nous pensons qu’ils ont besoin de quelque chose, mais nous ouvrir à aider celles et ceux qui sont autour de nous, celles et ceux qui n’ont peut-être pas besoin de nous mais qui peuvent découvrir auprès de nous un chemin de liberté, de pardon, de reconnaissance.
Sans se cacher derrière des étiquettes, cœur à cœur, regard plongeant dans le regard de l’autre. Et si nous avons tant manqué d’être en présentiel, en présence les uns des autres, ne nous enfermons pas comme une chrysalide dans son cocon, parce qu’elle est toute seule dans son cocon. Ne nous enfermons pas et ne faisons pas du communautarisme, du pour nous, du service de nos intérêts, soyons résolument en avant au service de notre prochain.
Car s’il y a une urgence ce n’est pas à mes yeux celle de sortir du Covid, mais celle d’être présents au monde, d’avoir une parole au cœur du monde, une parole qui dit à l’autre « bienvenue », une parole qui dit à l’autre « assieds-toi, prends place », une parole qui dit à l’autre « tu viens enrichir ma vie », et ce que je partage avec toi, ce que je peux te donner ne m’appauvrit en rien.
Alors « comme avant » ou « en avant ! » ?
Enfermés ou blottis peut-être dans nos lieux d’Eglise, oui mais en avant sur les routes des autres. Bien à l‘unisson dans nos cantiques, oui, mais à la rencontre des chants du monde. Bien entre nous, oui, ça fait du bien, mais à condition que cet entre nous soit élargi, élargi à tous ceux et à toutes celles que Dieu envoie vers nous ou vers qui Il nous envoie.
Alors, vous voyez, ce n’est pas comme avant, et le défi de l’en avant est grand.
Bientôt, – ça s’écrit un peu différemment -, le temps de l’Avent s’ouvrira et là aussi nous allons nous mettre en chemin, vers un Autre, vers une incarnation. Mais est-ce que ce sera comme avant ? Non, le premier Noël il est passé et Noël ce ne sera pas une crèche, mais ce sera bien une incarnation tendue vers l’avant, elle sera dans notre cœur, dans notre vie d’Eglise, dans le monde, et si en Eglise nous ne sommes pas là pour le vivre, pour le dire, alors qui le vivra et qui le dira ?
Ah ! ça faisait du bien de marcher un peu de long en large, et de ne pas garder le regard fixé sur la caméra ou de suivre sur l’ordinateur ce petit point rouge obsédant pour rester bien cadré. Et puis ça fait du bien de voir vos visages et vos yeux me suivre comme ça, des regards non statiques, non figés dans l’écran. Ce n’était pas comme avant. Alors, je vous dis tout simplement : en avant, en avant, en avant… !
Je vous remercie.
Pasteur Olivier Filhol
Merville-Franceville le vendredi 12 novembre 2021.
(Message retranscrit à partir d’un enregistrement en direct)